« Sur les pas de Jean-Jacques Rousseau à Venise» de Bruno Planty

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Dixit Régis Debray, ennemi féroce de la Venise d’aujourd’hui dans son fameux pamphlet «Contre Venise» : « Ne consommez pas du Venise, drogue qui n’est douce qu’au premier voyage », « Trop tard » lui répondrais-je, comme des millions d’autres amoureux transis de la cité des Doges. Il ajoute : « Venise : un dédale dont le plan cadastral n’a pas changé depuis cinq ou six siècles, où Jean-Jacques Rousseau pourrait demain retrouver tout seul son chemin... » et j’ajoute, en choeur avec les amoureux fous de Venise : « C’est bien pour cela qu’ on l’ aime!  » parce que cette vieille ville médiévale est restée pratiquement identique à ce qu’elle était à l’époque de la Sérénissime, ce qui est fascinant.

Régis Debray a raison : Venise est une drogue dont on devient rapidement « accro » et Jean-Jacques Rousseau, qui y vécut un an du 4 Septembre 1743 au 22 Aout 1744, pourrait aujourd’hui encore rentrer à l’Ambassade de France à Cannaregio sans se perdre, car presque rien n’a changé. Son expérience en tant que secrétaire de l’ Ambassade de France à Venise occupe la plus grande partie du livre 7 des « Confessions », écrite 25 ans après les faits.

En 1743, Jean-Jacques Rousseau a trente et un ans. Il obtient un poste de secrétaire d’ambassade à Venise grâce aux recommandations de Madame de Broglie et de l’ Abbé Alary, de l’ Académie Française. Mais les relations avec son supérieur le comte de Montaigu, sont des plus mauvaises et se gâtent rapidement. Jean-Jacques Rousseau regagne donc Paris un an après. Néanmoins ce séjour va se réveler fondateur pour son œuvre dans les domanies de la politique, de la musique et du romanesque.

L’expérience politique d’abord car c’est à Venise que Rousseau conçut la première idée du “Contrat Social”. Il y comprit que tout est lié à la politique. Et c’est aussi à Venise qu’il souffrit de l’injustice sociale voulant qu’ « on ne put jamais se mettre dans la tête qu’un ambassadeur put avoir tort avec son secrétaire ».

L’expérience musicale ensuite : Rousseau fut immédiatement subjugué par la musique italienne qu’il découvrit alors. Or, l’écrivain jouera un rôle phare dans sa diffusion en France. Egalement, la passion de Rousseau pour la langue italienne inspira son « Essai sur l’origine des langues ».

Enfin, ses expériences érotiques à Venise, dont le fiasco avec la belle courtisane Zulietta, préfigurent la disparition chez lui d’une affectivité centrée sur des personnages du réél au profit de l’imagination et du romanesque. En effet, Rousseau est un philosophe de premier plan “duellant” avec sa plume contre ce diable d’homme de Voltaire, qui savait être perfide quand quelqu’un lui était antipathique. Ainsi a-t-il persiflé que “Jean-Jacques, domestique de M. de Montaigu, était loin d’être secrétaire d’ambassade”. Laissons les Dieux de l’Olympe se chamailler…

Toutefois notre Jean-Jacques, peu empathique avec les autres mais se compatissant largement, fut sordide: de retour à Paris, il connut une jeune lingère, qu’il épousa,  qui lui donna cinq enfants: tous les cinq abandonnés aux Enfants Trouvés de la ville de Paris car il n’eut nullement l’intention ni de les éduquer ni de les aimer…Un comble quand on écrit le manuel  d’éducation des enfants le plus progressiste qui soit des Lumières….Je pense à “Emile ou De l’éducation” et à son dernier livre inachevé “Sophie“, élevée et éduquée pour être l’épouse parfaite d’Émile. En effet, Rousseau s’opposait à l’éducation des jeunes filles et adopta une position très sexiste sur le rôle des femmes dans la société, à l’image de leur rôle dans la famille de l’ Ancien Régime. Une aubaine pour Voltaire pour critiquer cet homme qui écrivit comment éduquer les enfants mais qui abandonna les siens à l’ Assistance publique…

L’ auteur, Bruno Planty, est un spécialiste de Jean-Jacques Rousseau, membre de la Société Jean-Jacques Rousseau de Genève et du comité fondateur de l’association Clarens dédiée à la promotion de la pensée du philosophe. Parallèlement, il est un amoureux inconditionnel de Venise, de ceux qui reviennent toujours.

Son écriture est claire, rapide, passionnante: on le suit de page en page comme son ombre sur les pas de Jean-Jacques Rouseau à Venise, dans son expérience de vie fondamentale pour la création de ses oeuvres majeures qui suivront peu après, avec son illumination en 1749 que “l’homme est bon naturellement et que c’est par les institution seules que les hommes deviennent méchants”, que “le progrès des sciences et des arts n’a rien ajouté à notre félicité”, “a corrompu nos moeurs” et “les lettres et les arts étendent des guirlandes de fleurs sur les chaines de fer dont les hommes sont chargés et leurs font aimer leur esclavage” dixit Rousseau, toujours d’actualité? A vous de le dire...

Bruono Planty à Venise

L’ Editeur « La Tour Verte » est une maison d’édition artisanale créée par un écrivain, Robert de Laroche, désireux de partager avec des lecteurs passionnés ses thèmes de prédilection, dont Venise, pour qui il a créé une Collection sur mesure « l’Autre Venise » : « Loin des clichés touristiques, entre passé et présent, une Venise souvent cachée, secrète, chère aux curieux et aux vrais amants de la Sérénissime. L’autre Venise : une petite bibliothèque vouée à l’esprit autenthique de la cité des Doges ». L’anti-Debray en somme, celle des « accros» purs et durs de Venise.

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Pubblicato da Hélène Sadaune

Master II d'Histoire Moderne de la Sorbonne Paris IV, j'ai travaillé pendant plus de 20 ans pour la C.E. Résidente depuis plus de trente ans à Venise, guide conférencière à Paris et Venise, je suis une passionnée de la civilisation vénitienne et de cette ville hors-norme. Comptez sur moi pour vous tenir informé!

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