Evan Penny: Ask your body

Premier impact de l’exposition “Ask your body” d’Evan Penny crédit photo: Hélène Sadaune

 

C’est dans la délicieuse petite église de San Samuele dans le sestier de San Marco à deux pas du Campo Santo Stefano qu’a lieu l’exposition collatérale la plus surprenante de cette Biennale 2017.

C’est toujours dans cette ravissante petite église de San Samuele que Giacomo Casanova, qui habitait dans le palais Malipiero, a prononcé son premier et dernier sermont en tant que prêtre. Il se rendit compte à temps que telle n’était pas sa vocation.

Détail du choeur de l’ Eglise San Samuele Crédit photo: Hélène Sadaune

 

Evan Penny est un artiste canadien, fils de l’hyper-réalisme, qui présente ses dernières oeuvres d’inspiration christique et ancienne dans cet écrin remontant au lointain IX ème siècle, pour ce qui est de l’église primitive, magnifiquement restauré en l’an 2000 grâce à l’association américaine “Save Venice”.

Le curateur Michael Short s’est occupé de toute l’organisation de l’exposition et du très intéressant catalogue franco-anglais, magifiquement illustré des derniers ouvrages de Evan Penny.

L’entrée dans l’église est spectaculaire et nous semble plein de promesses. Trois oeuvres impressionnantes de Evan Penny ouvre la danse, et la stupeur passée, la réflexion s’impose. Comme nous dit l’artiste, pour comprendre le vrai, il faut “en cas de doute, demande à ton corps” d’où le titre de l’exposition “Ask your boby”.

En effet, si on peut fourvoir la raison par d’ élégants sophismes, on ne peut tromper les émotions qu’envoient notre corps à notre cerveau. Donc, pour ne pas se tromper, en cas de doute, demande à ton corps ce qu’il a ressenti puis réfléchis. C’est l’invitation faite par l’artiste dont nous aurons besoin car ses oeuvres sont crues. Et pour les accepter dans leur monstreuse beauté, nous devons les comprendre.

Crédit photo: Hélène Sadaune

 

Evan Penny s’est inspiré dans ces derniers travaux à des oeuvres anciennes voire antiques pour en faire du neuf, armé de son hyper-réalisme. En effet, ses oeuvres sont en silicone pigmenté qui ressemble à de la vraie peau humaine, recouvert de cheveux et de tissus réels, décuplant le malaise ressenti car tout semble si vrai. Et le sujet est si cruel.

A gauche et à droite de l’entrée vous avez deux grandes sculptures en silicones pigmentées, représentant l’artiste dans toute sa crudité: défauts de la peau, agrandis et démultipliés. La première à gauche représente l’artiste jeune. A droite l’artiste tel qu’il s’imagine devenir quand il sera vieux. Impressionnant de précision.

Crédit photo: Hélène Sadaune

 

Au centre, ce que l’on imagine être au premier coup d’oeil un buste en marbre blanc, sculptural. On s’en approche, malaise: tout à l’air si vrai! Une peau couleur de craie, avec ses moindres plis et replis, ses poils et ses muscles, une vague couleur rosée pour le mamelon. L’information passe à la raison qui nous dit qu’on l’a déja vu quelque part: ah oui, un de ces fameux torses de la Grèce antique. Monumental. Version semi-vivante.

Détail du torse en silicone pigmenté, cheveux, acier Crédit photo: Hélène Sadaune

 

A l’extrême droite, un étrange personnage en souffrance. Il semble évidé, avoir presque perdu ses os, être devenu élastique dans son extension. Il me rappelle l’incroyable autoportrait de Michelange peint dans la chapelle Sixtine. Un spectre, abîmé de souffrance. Il semble avoir vu et vécu l’indicible. Deuxième regard: il rappelle aussi un Titien peu connu, de la vieillesse du grand vénitien “Le supplice de Marsyas” et renvoit aux statues antiques romaines représentant cette légende cruelle. Michael Short nous renvoit aussi à la véritable histoire de Venise, celle du grand amiral véntien Marcantonio Bragadin, qui ayant été vaincu par les Turcs en 1571 dans la défense de la ville de Famagouste à Chypre, a été condamné par le sultan Ottoman a être dépecé vivant. Comme le satyre Marsyas. Après son sanglant supplice, sa peau a été dérobée aux Turcs par des soldats vénitiens, a été recousue et ramenée à Venise pour y être honorée. Aujourd’hui encore, elle est conservée dans une urne funéraire de l’église San Zanipolo (San Giovanni e Paolo). L’ Histoire de Venise est pleine d’atrocités.

Silicone pigmenté, cheveux, aluminium, bois Crédit photo: Hélène Sadaune

 

Reprenons notre visite. Tournons autour du panneau blanc où sont suspendus les deux autoportraits de l’artiste jeune et vieux, pour découvrir derrière une véritable horreur: au premier degré, celle des émotions qui se rebiffent. Stupéfaction et émerveillement au deuxième. Comment a -t -il réussi à faire ça! Ca a de l’incroyable! Un Christ désarticulé de 4 mètres de long, allongé à l’infini, comme suspendu dans le temps dans son étirement monstrueux…Une torture moyenâgeuse d’allongement? Ca se faisait à l’époque….On passe l’information à notre bagage culturel, qui nous dit qu’on l’a déjà vu ailleurs: un de nos classiques revus par l’artiste. C’est le “Christ mort au tombeau” de Hans Holbein, 1521-22, conservé à Bâle en Suisse. Si l’original est de taille humaine, celui de Evan Penny est de plus de 4 mètres de long…De quoi surprendre.

“Hommage à Holbein”, silicone pigmenté, cheveux, tissu, bois polychromé Crédit photo: Hélène Sadaune

 

Puis, pour finir “en beauté” (là je donne dans l’humour noir, pardonnez-moi), sur la gauche de l’ “Hommage à Holbein” hyper-allongé, une autre oeuvre épouvantablement macabre: sur une pierre tombale blanche, des membres humains disposés. Premier abord: on voit une sculpture en marbre blanc de membres établis dans un agencement curieux. On s’approche: et c’est ignoble. Je ne conseille pas aux âmes sensibles de le regarder de près car c’est sordide. Les deux bras et jambes ont été sectionnés, comme coupés à la hâche et posés les uns sur les autres. Je me dis qu’il y a du “serial killer” en l’auteur: espérons qu’il s’en tiendra à faire l’artiste! L’horreur et l’indignation passée, on reconnait là une revisitation d’ un tableau semi-oublié du peintre français Géricault “étude de bras et de jambe” de 1818-19…On respire: un dérivé hyper-réaliste de nos classiques, choisi parmi les plus macabres il est vrai.

Crédit photo: Hélène Sadaune

 

Réflexion faite, je vous dirais que les oeuvres de Evan Penny sont d’une monstrueuse beauté: ce que j’avais pensé/ressenti dès le début, le tout confirmé par ma réflexion. Nous, les enfants et héritiers de Charles Baudelaire ne pouvons rester insensible aux “Fleurs du Mal”.

Crédit photo: Hélène Sadaune

 

www.evanpenny.com

www.evanpennyvenice.com

Pubblicato da Hélène Sadaune

Master II d'Histoire Moderne de la Sorbonne Paris IV, j'ai travaillé pendant plus de 20 ans pour la C.E. Résidente depuis plus de trente ans à Venise, guide conférencière à Paris et Venise, je suis une passionnée de la civilisation vénitienne et de cette ville hors-norme. Comptez sur moi pour vous tenir informé!

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