Hélène Carrère d’ Encausse: “La Russie entre deux mondes”

Faut-il avoir peur de la Russie? C’est la question posée par l’une des meilleures spécialistes du monde russe, l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, membre de l’Académie Française depuis 1991.

Cet essai permet à ceux qui veulent mieux comprendre l’échiquier international, de saisir les enjeux de la Russie après la chute de l’ Empire Soviétique fin décembre 1991 et la construction patiente de Vladimir Poutine depuis l’an 2000, après avoir été intronisé par Boris Eltsine le 31 décembre 1999 suite à sa démission, laissant le pays isolé et dans une situtation catastrophique.

Hélène Carrère d’Encausse

Presque vingt ans après, grâce à Vladimir Poutine, la nouvelle Russie est de nouveau une superpuissance reconnue de tous et de plus en plus présente et active dans le jeu des grandes nations. La Russie de Poutine est devenue un incontournable du Moyen-Orient et de l’ Asie.

Divisée entre l’Europe et l’ Asie, la Russie s’est d’abord vue écartée de la scène internationale par les USA, qui refusent d’ abdiquer de leur titre de maître de monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais la géopolitique mondiale a changé et l’axe majeur s’est déplacé vers l’Asie. Les USA réussiront-ils à continuer à imposer leur hégémonie concurrencée par l ‘UE et les pays Asiatiques?

Poutine a pris conscience avant la plupart des responsables occidentaux de la transformation géopolitique du monde: l’ Europe n’est plus au coeur du monde, qui s’est déplacé en Asie et aux pays émergeants. Le virage asiatique a été le moyen de s’imposer sur le plan international puisque la Russie est bloquée du côté de l’ Europe.  Alors que pour les pays d’Asie et les pays émergeants, la Russie est un pays avec lequel construire des alliances politiques, commerciales et militaires.

Aujourd’hui, il est essentiel de comprendre ce que veut Vladimir Poutine: souhaite-t-il encore se réconcilier avec l’Europe ou l’abandonner en se tournant résolument vers l’ Asie? Son choix sera lourd de conséquences pour l’ Europe, dans le cas de son abandon. L’éminente spécialiste de l’histoire russe déplore la diabolisation excessive que subit le régime poutinien, qui a empêché jusqu’à aujourd’hui tout rapprochement. Hélène Carrère d’Encausse nous dit:” Vladimir Poutine n’est pas un adversaire de l’ Europe. La Russie fait partie de l’ Europe et si elle s’en sépare, c’est la fin”. (sous-entendu, pour nous Européens).

TAS31: MOSCOW, RUSSIA. OCTOBER 24. President of Russia Vladimir Putin received  Helene Carrere d’Encausse in the Kremlin

Hélène Carrère d’Encausse nous explique qu’ historiquement, la Russie a longtemps hésité entre la France et l’ Allemagne au cours des siècles. Mais ces dernières décénnies, les Russes ont nourri l’idée que leur pays était méconnu, voire méprisé par l’ Europe. Par exemple en 1991 au moment où la Russie sort du communisme et souhaite rejoindre l’Europe. Vainement.

Elle nous dit: “Aujourd’hui les Russes ont pris conscience que l’ Europe, c’est d’abord l’ Allemagne. Ils voient qu’une grande Allemagne s’est reconstituée pacifiquement, économiquement et politiquement. Tous les pays de la nouvelle Europe sont rassemblés autour de l’ Allemagne, qui est leur chef de file, leur modèle. Cela déséquilibre l’ Europe. (…) Or pour l’ Allemagne l’ Ukraine est traditionnellement un facteur d’affaiblissement de la Russie, dès la fin de la Première Guerre mondiale l’Allemagne a soutenu l’Ukraine indépendante, comprenant qu’elle était un élément de décomposition de ce qu’avait été l’Empire russe. Avec Angela Merkel on a le sentiment que l’Ukraine est une composante d’un paysage européen où la Russie n’a pas tout à fait sa place. L’Ukraine est l’élément slave du paysage européen. Le rapport avec l’ Allemagne est donc difficile

Elle précise: “ Angela Merkel a derrière elle des Etats hostiles à la Russie comme la Pologne et les Etats Baltes, pour lesquels l’Ukraine peut etre le dernier verrou commandant la séparation de la Russie et de l’ Europe. Poutine voit l’ Allemagne comme une puissance dont le poids est déterminant en Europe”.

Sur la France: “Après l’exception du Général de Gaulle on assiste à un certain suivisme de la France à l’égard des Etats-Unis. Cela fait parti de l’américanisation de la France, un tournant politique, qui est à l’opposé de la politique d’indépendance de la France inspirée par le Général de Gaulle et suivie pendant trente ans. “

Or la position indépendantiste de la France du général servait à équilibrer l’ Europe, à mettre un frein à l’hégémonie montante de l’ Allemagne. Frein qui n’existe plus. Equilibre qui s’est rompu. L’Europe est sous le lourd joug économique et monétaire Allemand.

Poutine a été réélu le 18 Mars 2018 à son quatrième et dernier mandat au gouvernail de la Russie, avec une majorité de 76,7 % des suffrages confirmant sa grande popularité auprès de ses concitoyens. Il se pourrait que ce dernier mandat, au terme de 24 ans de gouvernement (fin du mandat en 2024 quand il aura 72 ans) puisse apporter l’acceptation de son attachement à l’ Europe, tant recherchée au début de sa carrière d’homme d’Etat.

Toujours craint de ses voisins, la méfiance et la peur a empêché tout rapprochement. Toutefois, nous sommes arrivés à un tournant: celui de la main tendue par le nouveau gouvernement Italien en la personne de Matteo Salvini qui souhaite renégocier voir supprimer les sanctions contre la Russie depuis 2014 et surtout la rapprocher des Nations Européennes. C’est une affaire à suivre car nous en sommes aux balbutiements initiaux et l’ Allemagne est réfractaire à tout ce qui pourrait modifier son hégémonie.

Vladimir Poutine avec Matteo Salvini

Parallèlement, la proposition surprise du président Donalt Trump à l’occasion du G7 au Canada de faire rentrer la Russie dans le G8. Le dégel? C’est en tout cas une ouverture inattendue du côté des Etats-Unis qui finalement reconnaissent son rôle décisif dans la résolution des conflits au Moyen-Orient et son influence toujours plus importante en Extrême-Orient.

En Europe, l’ouverture grâce à l’Italie pourrait permettre de rééquilibrer les rapports de force en Europe, actuellement lourdement conditionnés par la domination allemande. Il est donc probable que lors de son dernier mandat Poutine réussisse le tour de force d’obtenir la reconnaissance  de la Russie au sein du G8 et auprès de l’ Europe. 

Toutefois, cette reconnaissance internationale tant attendue arrive à un moment, où lassée d’attendre pendant dix longues années, n’a plus une grande importance aux yeux de la Russie, qui entre-temps, s’est résolument tournée avec succès vers l’ Asie et le Moyen-Orient.

Le président Poutine reçu à Pekin par le chef du gouvernement  chinois Xi Jinping, qui lui a remis la médaille de l’ amitié de la Chine.

En effet, pendant que Trump lancait sa proposition inattendue de réinserer la Russie dans le G8, Poutine était reçu avec tous les honneurs en Chine par le chef du gouvernement XI Jinping qui lui a décerné la médaille de l’amitié de la Chine à l’occasion du sommet de l’ OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) qui rassemble plusieurs pays d’Asie dont fait partie la Russie. Hier, le président Poutine déclarait lors de sa visite à Pékin ce week-end: La coopération entre la Chine est une des priorités de la Russie et a rejoint un niveau sans précédent”. On pourrait conclure que cette potentielle reconnaissance occidentale arrive trop tard, alors que la Russie s’est tournée vers d’autres réalités géopolitiques et fait désormais parti d’un autre monde.

In Italiano:

https://www.salernoeditrice.it/autore/helene-carrere-dencausse/

 

En Français:

https://www.fayard.fr/la-russie-entre-deux-mondes-9782818501160

 

Pubblicato da Hélène Sadaune

Master II d'Histoire Moderne de la Sorbonne Paris IV, j'ai travaillé pendant plus de 20 ans pour la C.E. Résidente depuis plus de trente ans à Venise, guide conférencière à Paris et Venise, je suis une passionnée de la civilisation vénitienne et de cette ville hors-norme. Comptez sur moi pour vous tenir informé!

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