Monteverdi 450 à la Fenice

Photo ©Michele Crosera Sir John Eliot Gardiner sur la tombe de Monteverdi à Venise

 

Pour fêter l’anniversaire de la naissance de Claudio Monteverdi il y a 450 ans, le théatre La Fenice a organisé trois concerts d’exception : les œuvres majeures conservées de Monteverdi, « L’ Orfeo », « Il ritorno di Ulisse in patria » et « L’incoronazione de Poppea » magistralement dirigé par John Eliot Gardiner et joué avec bravoure par « Monteverdi Choir English Baroque Soloists ».

Une telle occasion est fort rare et les spectateurs ne se sont pas trompés : les plus de 1200 places du théâtre la Fenice ont été toutes vendues en trois fois rien de temps.

Monteverdi a été le premier compositeur d’Opéra de notre histoire. Malheureusement, plus de la moitié de ses œuvres ont été perdues et sa célébrité aujourd’hui se base sur ses trois œuvres parvenues entières jusqu’à nous : « L’Orphée » de la période mantovanienne de sa carrière, écrit en 1607, puis le « Retour d’Ulysse dans sa patrie » écrit en 1640 et « Le Couronnement de Poppée » daté 1643, sa dernière œuvre écrite à Venise. Trente-cinq ans séparent ces trois œuvres, ce qui explique les grandes différences stylistiques entre ces trois opéras.

La scène mythique du tournoi, Pénelope tient l’arc d’Ulysse, que devront essayer de plier les prétendants au trône d’Ithaque

 

Monteverdi était convaincu que la musique devait servir à exprimer les émotions humaines. Quand Monteverdi écrivit l’Orfeo, il avait déjà plus de quarante ans et était l’auteur de cinq livres de madrigaux imprimés et de bien d’autres oeuvres encore. Depuis 1590, il était au service du Duc de Mantoue Vincenzo Gonzaga et à l’époque de l’Orfeo il avait été promu « Maître de Musique », étendant ses compétences à toutes l’activité musicale de la cour de Mantoue, pour les exigeances de la Chapelle, de la Chambre et du théâtre du Duc. La musique de Monteverdi exprime l’opulence dans un déclamé presque prosaïque, son fameux style récitatif (inventé par les Florentins), les chants en duo et les choeurs en madrigaux, les danses, ainsi que l’utilisation de nombreux refrains instrumentaux.

Son chef-d’oeuvre reste l’Orfeo, 3h45 avec un intervalle, alors qu’à l’époque l’opéra était représenté sans intervalle. L’Orfeo dut avoir satisfait ses mécènes de Mantoue puisque l’année suivante Monteverdi fut chargé d’écrire une nouvelle œuvre, à jouer à l’occasion des noces de Francesco Gonzaga et Marguerite de Savoie. Ainsi nacquit l’ « Arianne » dont il ne nous est resté qu’un fragment, la lamentation d’Arianne abandonnée par Thésé, ce qui rend encore plus douloureuse la disparition du reste de l’oeuvre. Il faudra attentre plus de trente ans jusqu’aux années vénitiennes de l’auteur, pour retrouver une nouvelle œuvre du compositeur. C’est le « Retour d’Ulysse dans sa patrie » en 1640. Monteverdi était depuis plus de 25 ans le protagoniste de la vie musicale de Venise.

En effet, depuis 1614 Monteverdi était devenu Maître de Chapelle à la Basilique Saint-Marc, certainement la charge la plus prestigieuse de toute l’ Italie du XVII ème siècle. Outre à diriger les effectifs de la Chapelle (musiciens, choeurs etc.) il fournissait régulièrement de nouvelles compositions pour les messes solennelles pour lesquelles Venise était célèbre dans toute l’Europe.

-Photo ©Michele Crosera – l’un des prétendants essaye de plier la corde de l’arc pour y inserrer la flêche, en vain….

 

Le « Retour d’Ulysse dans sa patrie » et le « Couronnement de Poppée » sont des œuvres très différentes de l’ « Orfeo ». Elles n’étaient pas destinées à une cour mais à un théâtre public, un de ces théâtres construits par des familles aristocratiques de Venise dans le but de produire des spectacles pour un public payant durant la période de Carnaval.

Rappellons que la structure politico-sociale de Venise a toujours été très singulière : le pouvoir n’appartenait pas qu’à un seul prince comme à Florence ou à un seul roi comme en France, mais était partagé entre un large groupe de familles patriciennes (entre 150 et 40 familles selon les époques) qui votaient leur représentant, le Doge de Venise. Une vaste partie de ces familles patriciennes s’enrichissait grâce à des activités commerciales de grande rentabilité (l’import-export d’épices alors précieuses, de soie, de parfum, de pierres précieuses etc. revendus aux pays nordiques contre des métaux, du bois, des fourrures etc). Mais Venise n’était pas qu’ une République de marchands comme on a trop souvent voulu la réduire, puisque les patriciens étaient également devenus des « Gentlemen farmer » dès le XV ème siècle avec l ‘exploitation agricole des terres conquises sur la Terre-Ferme vénitienne, ainsi que des investissements majeurs dans le secteur bancaire qui facilitaient les participations dans les aventures commerciales ainsi que dans les assurances maritimes.

Les théâtres représentaient un autre type de placement financier, pour lequel il était essentiel d’attirer un large public pour rentabiliser son investissement initial et faire des bénéfices. Or, Venise fut un centre touristique historique dès le Moyen-Age, au départ pour les pélerins en voyage vers les lieux Saints. Et était célèbre pour son carnaval unique qui attirait de toute l’Europe une foule bigarrée et socialement élevée. La population de Venise à l’époque du Carnaval allait même jusqu’à doubler. Au XVI ème siècle, le carnaval était caractérisé par des spectacles théâtraux en prose et en musique, des tournois et des courses de taureaux et autres jeux cruels qui divertissaient alors beaucoup un public différemment sensible par rapport à aujourd’hui.

En 1640 les théâtres de Venise ouverts au grand public étaient au nombre de trois. Ils passèrent à quatre dès l’année suivante vu les succès remportés et certains offrirent déjà au public plus d’un opéra par saison. Peu après, on en vint à proposer jusqu’à cinq ou six oeuvres différentes par saison à un public bien disposé à aller tous les voir, aussi bien parmi les touristes que les citoyens vénitiens. A partir de là, les productions théâtrales ne connurent plus de frein et la fièvre de l’Opéra à Venise s’enfla demeusurément jusqu’à arriver à plus de vingt théâtres à la fin du XVII ème siècle. Venise était devenue la capitale européenne de la musique.

–Photo ©Michele Crosera

 

Chaque Opéra était accompagné par un petit orchestre : un clavecein (l’ancêtre du piano) une paire de luths et de violons qui jouait l’Ouverture et les différents refrains du spectacle. L’orchestre avait alors pour but de mettre en valeur le jeu des acteurs et leurs déclamations. En 1640 Monteverdi avait déjà plus de soixante-dix ans et une réputation internationale.

Le livret du « Retour d’Ulysse en patrie » est de Giacomo Badoaro qui a choisit comme source l’Odyssée d’Homère et s’en inspira fidèlement. L’oeuvre concerne la fin du chant d’Homère c’est à dire son retour à Ithaque après vingt ans d’absence, éloigné par la vengeance du dieu Posséidon, dont Ulysse avait tué le fils, le monstrueux cyclope Polyphène, pour éviter à son équipage d’être dévoré par ce dernier. On y retrouve une vaste gamme de personnages humains et divins, du souverain au mendiant, alors que la horde des prétendants au trône sont cantonnés à trois. Spectaculaire final du deuxième acte avec le tournoi des prétendants. L’épreuve consistait à réussir à tendre l’arc d’Ulysse, ce que nul n’a jamais pu faire en dehors du propriétaire de l’arc lui-même…Sous l’aspect d’un mendiant chenu, Ulysse empoigne son arc et les tue tous, flêches après flêches, aidé par son fils Télèmaque et la déesse Athéna, sa bonne “fée” depuis toujours.

“Les prétendants” de Gustave Moreau. Au centre de la toile Athéna qui flotte dans l’air, auréolée, Ulysse est au fond du tableau à droite dans l’encadrement de la porte, il décoche des flêches pour tuer tous les prétendants.

 

Si la trame est impeccable, l’histoire parfaitement chantée, la mélodie d’une pureté sans égale, j’ai déploré toutefois le manque de scénographie racontant cette belle histoire Homérienne dans un but d’économie probable. La scène est nue, avec pour seul ameublement les instruments et les musiciens, les chanteurs lyriques et le chef d’orchestre, Sir John Eliot Gardiner, spécialiste de Monteverdi et malheureusement également régisseur du spectacle. C’est trop peu: malgré la bravoure des chanteurs lyriques. Quand on pense aux scénographies merveilleuses qui se construisaient au temps de Monteverdi pour chaque spectacle, on regrette les temps anciens où le minimalisme n’était pas à la mode.

–Photo ©Michele Crosera

 

http://www.teatrolafenice.it

Pubblicato da Hélène Sadaune

Master II d'Histoire Moderne de la Sorbonne Paris IV, j'ai travaillé pendant plus de 20 ans pour la C.E. Résidente depuis plus de trente ans à Venise, guide conférencière à Paris et Venise, je suis une passionnée de la civilisation vénitienne et de cette ville hors-norme. Comptez sur moi pour vous tenir informé!

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