“Monteverdi et Wagner. Penser l’opéra” d’Olivier Lexa

Couverture du livre “Monteverdi et Wagner. Penser l’opéra” d’Olivier Lexa, Editeur Archives Karéline.

Publié à l’occasion du 450 ème anniversaire de la naissance de Claudio Monteverdi (1567-1643), Olivier Lexa nous livre le dernier objet de ses réflexions: établir des connexions entre ces deux auteurs exceptionnels qui peuvent sembler antagonistes au premier abord. Et pourtant, qui a déjà assisté à une représentation d’une oeuvre de Wagner et de Monteverdi sait intuitivement que les connexions existent et sont même plus nombreuses qu’on ne pourrait le soupçonner. Suivons donc notre Cicéron.

Olivier Lexa cite Romain Rolland qui dès 1895 rapproche leurs conceptions du théâtre musical. Cinq ans plus tard c’est D’Annunzio qui réitère la comparaison, suivi plus récemment par Pierre Boulez en déclarant” Probablement, Parsifal est l’aboutissement – provisioire – d’une tradition qui remonte à Schütz (disciple de Monteverdi et créateur de l’opéra allemand) et Monteverdi”. Philippe Baussant affirme que c’est au même Monteverdi, que Wagner doit l’invention du lietmotiv.

Cet ouvrage met en évidence ce qui rapproche et ce qui distingue l’art total wagnérien et le spectacle lyrique montéverdien, et surtout les origines néoplatoniciennes de l’opéra. Olivier Lexa nous fait alors voyager à travers les siècles et les grands penseurs du XIX et XX ème siècle qui les ont animé, en appuyant sur Nietzsche qui “commença sa carrière philosophique en définissant la “Civilisation de l’opéra” génératrice du théâtre wagnérien, rappellant à cette occasion “les origines du “stile rapprensentativo” et du récitatif” quand “l’homme de la Renaissance attendait de cette imitation de tragédie grecque qu’est l’opéra” un art total. Est ce un hasard enfin si tous les opéras des deux compositeurs développent des sujets mythologiques – sauf, pour chacun d’eux un seul titre?” Rienzi” pour Wagner et l’Incoronazione di Poppea pour Monteverdi, soit deux sujets historiques traitant de la décadence romaine?”

Portrait de Claudio Monteverdi, le “divin Claudio” comme l’appelaient les Vénitiens de son temps.

Lexa démontre, avec maintes citations, comment “Schütz mais aussi Dante, Pétrarque et Le Tasse sont des traits d’union, par ailleurs traduits par l’oncle de Wagner qui était en son temps l’un des plus brillants spécialistes allemands des lettres italiennes. L’Italie et la Commedia dell’arte demeurent parmi les fondements de l’opéra wagnérien. Et comme Monteverdi, Wagner fit une longue carrière et voyagea beaucoup. La péninsule fut sans conteste la destination étrangère préférée de Wagner, il y composa Parsifal, et Venise se trouve au centre des oeuvres des deux créateurs. Wagner y marcha à six reprises dans les pas de Monteverdi. Plusieurs airs lui ont été inspiré par le chant des gondoliers se répondant dans la nuit vénitienne. Outre le Vaisseau fantôme évoquant l’Ulysse montéverdien et Ortrud rappellant le personnage de Poppée, les figures d’Orphée et de Tristan offrent au chercheur une série d’analogies frappantes”.

Olivier nous explique: “Deux thèmes essentiels affleurent sous cette musique: la rédemption par l’amour et l’interdit. Quand Orphée est déchiqueté par les Bacchantes, sa tête continue de chanter pour l’éternité son amour pour Eurydice, de même, le chant d’amour de Tristan et Isolde outrepasse leur mort terrestre. A l’image d’Orphée, d’après la légende médiévale Tristan charmait par la musique de sa harpe. Déjà Tannhauser était une jeune chanteur s’accompagnant à la lyre.

Et il nous rappelle que: “Wagner enfante ostensiblement le symbolisme, qui constitue l’une des voies privilégiées vers l’ “épistémé” montéverdien. Et comment “Exalté par la découverte de Wagner en 1861, Charles Baudelaire publie un article intitulé “Richard Wagner et Tannhauser à Paris” où il introduit ce sonnet considéré aujourd’hui comme le premier manifeste du symbolisme: “La nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles…”. Baroque et symbolisme transposent les sens à travers un idéal de grandeur, les métaphores, les allégories, les oxymores répondent aux paradoxes (désir/pureté, corps/ame, humain/divin…)”.

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Photo ©Michele Crosera

Olivier conclut: “L’Opéra, art occidental par excellence, trouve ses racines non seulement dans le théâtre grec mais aussi dans la culture chrétienne laquelle a toujours réservé un rôle fondamental au chant dont Saint-Augustin et Boèce furent d’ailleurs les premiers grands théoriciens. Cette place accordée au chant par la chrétienté engendra notamment le “mystère” (proto-opéra médieval sacré), l’oratorio (opéra sacré), la passion et la cantate”.

L’auteur nous rappelle aussi la triste période post deuxième guerre mondiale où “seuls de rares compositeurs et penseurs s’intéressaient à l’opéra, considéré comme un objet muséal et bourgeois. En outre, les nazis et les fascistes avaient fait de l’art lyrique un objet de propagande” ce qui l’ a déconsidéré auprès des intellectuels et du public d’après guerre.

Photo d’époque de Richard Wagner.

Qu’en est-il aujourd’hui? On assiste à une renaissance de l’opéra dans le monde entier. Olivier Lexa nous explique pourquoi: “Tout au long du XX ème siècle, l’opéra a évolué parallèlement au développement d’un autre genre convoquant différentes disciplines artistiques: le cinéma. (…) On sait combien l’écriture orchestrale wagnérienne et le leitmotiv ont influencé les compositeurs de musique de film. D’autre part, des cycles comme La guerre des étoiles ou Le Seigneur des anneaux se réfèrent directement à l’univers wagnérien (George Lucas s’est d’ailleurs vu proposer la mise en scène d’un Ring par l’Opéra de Los Angeles)”.

A ce titre le philosophe M.B. Kacem a déclaré en 2012: “ La seconde vie de l’opéra, c’est le cinéma”. Loin d’avoir tué l’opéra comme il le déclarait par provocation: “On sait le récent succès des retransmissions de spectacles lyriques dans les salles de cinéma” et à la télévision. “Et l’on ne compte plus non plus les cinéastes s’étant laissé séduire par la scène lyrique, dans le sillage de Luchino Visconti, à John Schlesinger etc. On dénombre plus de 90 adaptations cinématographiques de Carmen” nous affirme l’auteur.

Fondazione Teatro La Fenice AQUAGRANDA
Photo ©Michele Crosera

Il conclut: “En ce début du XXI è siècle, l’opéra connait une vitalité et un développement sans précédent à l’échelle internationale. De nouvelles salles ne cessent d’être construites, notamment en Asie où l’on s’enorgueillit d’assimiler l’un des plus grands symboles de la culture occidentale. (…) Plus transnational que jamais, l’opéra réunit des artistes venus du monde entier. (…). L’Opéra n’est évidemment pas seulement une évocation du passé. Il constitue un objet d’innovation sans fin, par le biais de la création contemporaine d’une part, et à travers les constantes réinterprétations ou redécouvertes des oeuvres du répertoire de l’autre, lesquelles associent la lecture de sources immuables à la création de spectacles toujours nouveaux. (…) En tant que pensée vivante, l’opéra se réinvente continuellement (…) et répond ainsi au besoin d’incarnation des grands mythes laissés en jachère par les sociétés modernes”.

Photo d’Olivier Lexa par Laure Jacquemin.

Qui est Olivier Lexa:

Metteur en scène et dramaturge, Olivier Lexa est historien et musicien de formation. Il a notamment travaillé pour le Teatro alla Scala (Milan), La Monnaie (Bruxelles), le Carnegie Hall (New-york), le Teatro La Fenice et la Biennale de Venise. Il a publié plusieurs essais et romans. “Monteverdi et Wagner” est son sixième opus.

Pour commander son livre:

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=58338

Pubblicato da Hélène Sadaune

Master II d'Histoire Moderne de la Sorbonne Paris IV, j'ai travaillé pendant plus de 20 ans pour la C.E. Résidente depuis plus de trente ans à Venise, guide conférencière à Paris et Venise, je suis une passionnée de la civilisation vénitienne et de cette ville hors-norme. Comptez sur moi pour vous tenir informé!

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